Le 24 novembre 1997, la longue dame brune qui préférait “vivre en enfer que de mourir au paradis” nous quittait. Son ultime sommeil a eu raison de ses innombrables nuits d’insomnie. Diva discrète, star secrète, amante religieuse, l’âme de Barbara s’est envolée sur les notes d’une petite cantate égrenée par un piano noir. Un aigle, noir lui aussi, l’accompagnait pour le grand voyage vers l’inconnu, loin de cette planète où elle se sentait seule “comme pluie, comme cendre, comme froide, comme rien, comme un ciel déserté, sans étoile, égarée”. L’étoile perdue a retrouvé son chemin. Elle étincelle au firmament de la chanson.
Symboliquement, la nocturne et mélancolique Barbara aurait dû naître en hiver, dans un lieu désert entre crépuscule et minuit. En vérité, selon l’État-Civil, Monique Serf a vu le jour au milieu d’un après midi de printemps parisien, le 09/06/1930 à 16 h 00 à Paris, près du square des Batignolles. Quels astres pouvait-on observer au-dessus des toits de Paris à seize heures, dans le ciel de ce 9 juin 1930 ? Le Soleil et lui seul. Le jour, toutes les planètes sont invisibles, masquées par l’éclat de notre étoile et le bleu illusoire qui l’entoure.
Un regard capable de percer l’écran de l’azur et d’ignorer la brillance solaire — un regard comme celui de Barbara — aurait remarqué que Vénus et Pluton en Cancer se trouvaient au plus haut de leur course quotidienne et que le Soleil et Jupiter gravitaient à mi-chemin entre midi et crépuscule. Il aurait vu Mercure et Neptune, eux aussi au-dessus de l’horizon, mais il n’aurait pas pu voir que Mars se couchait : en ville, on ne voit jamais les astres se coucher, à moins d’habiter au sommet d’une très haute tour. Uranus, Saturne et la Lune étaient invisibles sous l’horizon de Paris.
Les noctambules et autres insomniaques ne naissent pas tous la nuit, qu’on se le dise. Dans le cas de Barbara, c’est même exactement le contraire : les deux Signes dominants de son thème, Gémeaux et Cancer, sont ceux qui ont les plus brèves durées nocturnes. Elle est née en plein jour, et au moment des jours les plus longs et des nuits les plus courtes.
D’où lui viennent alors cet attrait pour le monde de la nuit, cette poésie crépusculaire, cette obscure beauté ? De Pluton dominant à cette heure-là. Pluton, la plus obscure, invisible et plus lointaine planète du système solaire. La planète de ceux qui se sentent ailleurs, étrangers, vivant dans un autre temps, habitants d’une autre dimension. Dans le ciel de naissance de Barbara, Pluton était conjoint à Vénus, la planète de la séduction, du charme, de la beauté, du désir, de la fête des sens. Séduction de l’ailleurs, charme étrange, sensuelle distance, beauté lointaine, désir d’une autre dimension : c’est signé Vénus-Pluton dominants, et ça ressemble diablement à Barbara. Ajoutons à cela le Signe du Cancer (autoprotection, besoin de limites,de frontières), et l’astro-portrait se précise encore un peu plus : apparaît alors la tendre et solitaire ermite enfermée dans son petit monde à elle, sa très cancérienne maison de Précy.
Chaque planète gouverne un âge de la vie en fonction de la durée de son cycle. L’âge vénusien s’étend de 3 mois (fin du premier cycle de Mercure) à 7 mois 1/2 (fin du premier cycle de Vénus). C’est à cet âge-là que l’enfant développe sa sensibilité aux sons, aux formes, aux textures, aux couleurs qu’il préfère vives. Il expérimente sa sensorialité en touchant, suçant, palpant les objets qui l’entoure. En même temps qu’il fait l’apprentissage de la sensualité, il fait celui du charme et de l’affectivité : il s’attache fortement à ses parents et développe des trésors de séduction pour qu’ils satisfassent ses désirs. Du langage, il ne comprend que l’intonation des mots, l’écho qu’ils provoquent dans sa sensibilité.
Tout être né sous une dominante vénusienne conserve en lui, même adulte, les réflexes d’un bébé de trois à huit mois. Barbara était une parfaite illustration de cette loi astrologique : sensuelle et charmeuse, pleine de tendresse et de compassion, frémissante d’émotion, elle a vécu sous l’emprise d’une affectivité à fleur de peau, d’un irrésistible désir érotique et d’un insatiable besoin de séduire, de toucher, d’émouvoir, de faire partager son ressenti, d’ouvrir son cœur, bref, de vivre la plus belle histoire d’amour au cœur-à-corps.
L’âge de la vie que gouverne Pluton est tout différent : il s’agit de la période s’étalant de 164 ans (fin du premier cycle de Neptune) à 249 ans (fin du premier cycle de Pluton). À cet âge-là, l’individu n’existe plus en tant qu’entité charnelle. Au mieux, il n’est plus qu’un bon ou mauvais souvenir dans la mémoire de ceux qui lui ont survécu. Pluton règne ainsi sur l’au-delà de la vie. Cet au-delà, on l’appelle habituellement la mort. La mort évoque le silence, la distance, l’absence, l’insondable profondeur, l’anéantissement ou la libération de l’âme de son enveloppe de chair. Pluton n’a pourtant rien de morbide. Il est plus juste de dire que l’au-delà de la vie est le plus inconnu des inconnus.
Ceux qui sont nés sous une forte influence de Pluton ont ainsi tendance à cultiver le sens du mystère, la froide lucidité, le recul infini, l’attirance pour l’inconnu, conscients qu’il sont de la si brève durée de la vie. Barbara la plutonienne voulait partager avec nous ses angoisses existentielles, son authenticité d’être, son être profondément solitaire.
Symboliquement, les couleurs de Vénus seraient plutôt le rose ou le bleu layette. Celles de Pluton se situent dans un spectre qui irait du bleu nuit au noir absolu. Sous une conjonction Vénus-Pluton, le pastel et l’encre de chine, le rose et le noir célèbrent leurs épousailles. C’est l’amour et la mort, le désir qui pulse dans le vide de l’être ou du néant. Ainsi était Barbara : grande prêtresse des amours anéantis, touchée au cœur par l’effroi des espaces infinis, amante passionnée en quête d’une plus vaste dimension de l’être. Tour à tour proche, douce, présente, affectueuse, puis lointaine, dure, absente, cérébrale, amoureuse sans illusions.
La longue dame brune s’habillait toujours de noir. C’est un parti-pris esthétique bien dans la veine d’une Vénus dominante. Dans notre civilisation, le noir passe pour une non-couleur froide, lugubre, angoissante. On le broie les jours de cafard et on le porte aux enterrements. Mais sous une conjonction Vénus-Pluton dominante, il se transforme en couleur attrayante : pour Barbara, “Le noir est une couleur de fête, de soir, de nuit, de flamboyance, de dignité, de danger, de séduction ; de chagrin aussi”.
Vénuso-plutonienne, rose noire, Barbara aiguisait les épines de sa lucidité pour mieux jouir des parfums de la vie : “L’angoisse, quand elle ne devient pas une impossibilité d’avancer, fait partie de nous. On m’a reproché de parler de la mort, mais pour parler de la mort il faut aimer follement la vie !… On nous a tant menti, à nous cacher que, dès notre naissance, nous ne nous acheminons pas vers la vie mais vers la mort… Nous sommes des passants, à travers des vies brèves, terribles.”
Avec une dominante Vénus-Pluton, il lui fallait vivre ses désirs tout en n’oubliant jamais sa condition de mortelle, jouir avec gourmandise des joies de l’existence sans se faire d’illusions : tout passe, tout lasse, tout casse. La mort nous détache de nos attachements. Nos sentiments sont nus et inconnus. À la fin de sa vie, la voix de Barbara n’était plus qu’un souffle torturé d’asthme et de Gitanes. Son velouté vibrato vénusien s’épuisait dans l’indicible plutonien. Chanter faux, elle ? Vous n’y êtes pas : “Pas juste, pas faux, autour… la difficulté reste la nudité, où tout est suspendu et fragile. Le souffle est un son magnifique.” L’émotion vénusienne pure, suspendue au-dessus du vide plutonien.
Par la fonction vénusienne, on sort de soi-même pour aller vers l’autre proche, on passe de un à deux. La fonction plutonienne, elle, ne nous sensibilise ni au un, ni au deux, mais au multiple, au pluriel, aux grands nombres. Si Vénus concerne le duo-duel des couples, Pluton gouverne les vastes et anonymes collectivités. D’où une certaine tendance, chez ceux qui sont nés sous une dominante Vénus-Pluton et qui ont désappris la morale conventionnelle (en moyenne, ils parviennent en général mieux que les autres à s’en déconditionner), à multiplier les relations de couple, les unions, les fiançailles.
Barbara a ainsi eu de très nombreuses aventures sentimentales. L’amour s’épuise vite dans le quotidien. Sous une conjonction Vénus-Pluton dominante, l’attrait pour l’inconnu est une composante essentielle de l’affectivité. Lorsque celui qu’on aime, celui avec qui l’on vit devient trop connu, trop clair, trop transparent, lorsque la cohabitation et la complicité font perdre à l’autre son mystère, son étrangeté, sa dimension énigmatique, l’envie est grande d’aller voir ailleurs, de nouer une nouvelle relation encore pleine d’inconnu. Pour le vulgaire, Barbara pouvait ainsi passer pour une “mangeuse d’hommes”, une amante véhémente et volage qui laissait froidement tomber ses amants dès qu’elle en avait extrait tout le mystère.
En réalité, elle voulait vivre l’amour dans sa plus vaste, dérangeante, complexe et déroutante relation. Un amour vénusien inséparable de l’angoisse de vivre qui étreint souvent les plutoniens. Un amour qui exige une totale authenticité d’être. Un amour plutonien, un amour orphique et métamorphique, un impossible amour magicien : “Toi, au bout de ma vie, au bout de mes nuits, quand tout est fini… toi, mais que me veux-tu et que cherches-tu au fond de mes yeux fatigués… Je savais bien que quelque part tu existais mais si tard… et rien n’y pourra rien, je m’arrête ici, toi tu vas plus loin. Amour magicien, passe ton chemin.” Difficile ici de ne pas évoquer l’opposition de Saturne à Vénus-Pluton : l’amour comporte toujours pour Barbara une dimension de frustration, d’insatisfaction, de manque. Le couple est perçu comme une difficile conjonction de deux solitudes, comme le cadre d’expériences ingrates, difficiles, problématiques. “Je t’aime, moi non plus”, chantait Gainsbourg, né comme elle sous une dissonance Vénus-Saturne dominante. Mêmes dominantes chez Léo Ferré qui chantait “Quand je vois un couple dans la rue, je change de trottoir !” (en passant, Barbara et Léo Ferré avaient de nombreuses dominantes planétaires en commun : Vénus, Pluton, Saturne, Mars).
Mais la plus belle histoire d’amour que Barbara ait jamais vécue, c’est bien avec son public fervent et fidèle. Avec la multitude anonyme, obscure et plutonienne de ce public, Barbara avait établi une relation de duo vénusien : amour multiple, amour du multiple, intense et profond partage émotionnel avec des milliers d’inconnus dans l’enclos cancérien, vaste et intime à la fois, des salles de spectacle : “C’est vrai, je ne fus pas sage, et j’ai tourné bien des pages, et mes guerriers de passage, à peine vus déjà disparus. Mais à travers leurs visages, c’était déjà votre image, c’était vous, déjà, le cœur nu… ma plus belle histoire d’amour c’est vous”, chantait-elle à l’adresse de son public envoûté. Les tours de chant de Barbara étaient des cérémonies amoureuses initiatiques. À partir des ruines passionnées et douloureuses de ses amours individuelles, elle a bâti un grand et sublime amour collectif, un amour qui ne s’adresse plus à des particuliers, mais à l’universel. Un amour transfiguré. Un amour spirituel. Un amour vénuso-plutonien, au plus haut niveau.
Avec Mars en Taureau et Uranus en Bélier dominants, Barbara ne manquait ni d’énergie, ni de détermination. Elle pouvait se montrer dure, brutale, cassante, intransigeante dès qu’elle se sentait déçue ou frustrée dans ses attentes affectives. Marsienne, elle n’hésitait pas à dire ses quatre vérités avec une abrupte franchise et une sèche sévérité qui créaient un climat d’extrême tension autour d’elle. Son courage et sa pugnacité étaient indomptables. Une anecdote illustre ce tempérament marsien qui ne craint pas les dures confrontations et les rapports de force brutaux.
Alors qu’elle visitait la prison centrale de Poissy pour faire de l’information-prévention contre le sida (le grand combat très vénuso-plutonien — l’amour et la mort ! — des dernières années de sa vie), le personnel pénitentiaire, craignant l’éclatement d’une mutinerie, avait envisagé d’annuler le concert qu’elle devait donner devant des prisonniers survoltés. Barbara refusa. Son ami médecin Gilles Pialoux témoigne : “On s’est retrouvés dans une salle exiguë, cinq heures durant, avec les détenus, isolés du reste de la prison. Tout fonctionna, elle tutoya la violence du lieu, son relatif délabrement, le tout dans un incroyable respect. Et autant de silence. Des questions sur le sida, il y en eût jusqu’à l’extinction des feux.”
Dans son généreux combat contre le sida, elle faisait preuve d’un réalisme bien marsien. Trouvant que les messages de prévention étaient trop édulcorés, trop loin des réalités concrètes, et donc inefficaces, elle avait décidé de parler franchement de tous les modes possibles de transmission, en termes crus et nus : “et les moustiques ? Et le baiser ? Et les rapports avec la bouche ? Et la brosse à dents ?” Elle voulait donner une information complète, à la fois ultra-claire et précise (Uranus-Bélier) et pleine d’un bon sens, d’un réalisme très terre-à-terre (Mars-Taureau) mais aussi très réfléchi (Mars trigone Saturne).
Lorsqu’elle est dominante, une conjonction Soleil-Jupiter en Gémeaux donne un puissant goût de paraître partout, un tempérament extraverti, emphatique et théâtral, le goût des formes solennelles et des normes officielles. Mais justement, elle n’est pas dominante chez Barbara la discrète, non-conformiste et secrète introvertie… Le trio planétaire Soleil-Jupiter-Uranus, harmonieusement relié, lui donnait néanmoins un indéniable art de la mise en scène dans ses spectacles.
Article paru dans le n° 4 d’Astrologie naturelle (décembre 1998).
Le petit livre des Gémeaux
par
49 pages. Illustrations en couleur.
Ce livre présente et explique les trois zodiaques : celui du décor des constellations, celui de l’astrologie traditionnelle basé sur les Quatre Éléments symboliques (Feu, Terre, Air & Eau) et celui de l’astrologie naturelle basé sur les phénomènes astronomiques objectifs.
Interprétation des Gémeaux selon la symbolique classique et selon ses réflexes dans le zodiaque naturel (force, vitesse, équilibre) ; interprétation des Gémeaux en fonction des planètes dominantes ; le Signe solaire & le Signe Ascendant.
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